English version:
Long ago, according to a family story and a genealogy tree that goes back to the Middle Ages, the Delaportes possessed a castle.
They were an prominent Normandy family, and had been for multiple generations. In the 16th century, most of their money came from the hotel and transportation trades. They saw their money fluctuate in the 17th and 18th centuries but regained their bourgeois status in the 19th century thanks to a textile boom.
I do not know, exactly, when we had a castle. Someone likely told me when I was younger, but when we are young we seldom interest ourselves in family-related matters. But this I remember: we had a castle.
Hubert Delaporte, my grandfather, was born rich. As a child, a governess watched over him and taught him English. Thanks to his education and privilege, he had an impressive cultural and intellectual repertoire—and knew how to use his charm to his advantage. He could distinguish between good whiskey and good tobacco. He knew how to make polite conversation.
The 1929 crisis and the Second World War put an end to the riches of the Delaportes. If Hubert grew up rich, he failed to earn money as an adult. He could never make much of a living. He lived in an upper-class neighborhood. Had inherited beautiful furniture. But everything he tried to do, he failed at. Adding to his bad luck, he became a prisoner of war. Shortly after his release, he started a family.
My grandmother, Jacqueline, bore six children. Fifteen years separated the birth of the youngest, my father, and the eldest, my uncle. As my father was growing up, only one of his sisters remained. Everyone else had long gone.
Violence reigned heavily in their house. My grandfather called my father by the dog’s name. When he was not beating or insulting his children, he ignored them. Never did he address them directly. My grandmother, whom I’m told I resemble and who, as a small child, I admired, never tried to put a stop to this violence. In 1930, she played the role of housewife. She accepted things as they were.
Hubert died an alcoholic at 63 years old. It happened quickly. He was first paralyzed in the legs, then his whole body. My dad was 13 years old.
For a long time, the Delaporte siblings spoke neither of their upbringing nor their father. Even after Hubert’s death, fear and terror took hold. Then, one day, my aunt wrote a book alluding to what had taken place. To what had happened to them. Time, also, helped.
I never knew my grandfather, but I do know – and I feel – the impact of the terror that took possession of our family. Violence is a ghost. Even after it’s gone, traces remain. It leaves you dazed, forever leaving an imprint on those it haunts.
Apart from his tendency to complain (often about money, or rather, his lack thereof), my father has nothing in common with Hubert. He is all niceness and tenderness. I wonder, however, if his childhood obscured his brilliance. My aunt Florence became a writer. My aunt Caroline a singer for the choirs of Radio France. Patrick, the eldest, the one who received the most love from his father, obsessively collects old family stories and meticulously adds to our family tree. It’s thanks to him, actually, that I remembered we once had a castle.
We once had a castle. I wonder, what remains?
French version:
Il y a longtemps, d’après une histoire qui se raconte en famille, un livre que ma tante à écrit, et un arbre généalogique qui remonte jusqu’au moyen âge, les Delaporte possédaient un château. C’était une famille bourgeoise, depuis plusieurs générations. La Normandie était leur lieu d’attache.
Au 16ème siècle, les fonds patrimoniaux des Delaporte provenaient de l’hôtellerie et du transport local. Au 19ème siècle, les Delaporte reconquirent leur rang de bourgeois grâce à l’industrie du textile.
Je ne sais pas quand, exactement, nous avions un château. J’ai oublié. On me l’a sûrement dit quand j’étais plus jeune, mais quand on est petite on ne s’intéresse pas aux histoires de famille. Mais j’ai retenu cela : nous avions un château.
Hubert Delaporte, mon grand-père, lui, est né riche. Petit, il avait une gouvernante qui veillait sur lui et qui lui apprenait l’anglais. Grâce à son éducation et à son environnement social, il avait une culture générale impressionnante et il savait user de son charme et de son élégance. Il pouvait distinguer entre les bons whiskeys et le bon tabac. Il savait faire la conversation.
Mais voilà. La crise de 1929 et la Seconde Guerre mondiale mit un terme aux richesses des Delaporte. Hubert, quant à lui, s’il avait grandi riche, une fois adulte il ne savait pas comment gagner de l’argent. Il lui était impossible de le faire. Il vivait dans un beau quartier, avait hérité de beaux meubles, mais tout ce qu’il essayait de réaliser échouait.
Il fut prisonnier de guerre. Et ensuite père de famille ; mais, apparemment, il ne fut jamais vraiment père. Ma grand-mère, Jacqueline, lui donna six enfants. Entre la naissance du plus petit, mon père, et celle du plus grand, mon oncle, il y a eu plus de quinze ans d’écart. Quand mon père était petit, il ne restait plus que sa grande sœur à la maison. Les autres étaient partis depuis longtemps.
La violence régnait dans cette maison. Mon grand-père appelait mon père par le nom du chien. Quand il ne battait pas ou n’insultait pas ses enfants, il les ignorait. Il ne leur adressait jamais la parole. Ma grand-mère, à qui je ressemble beaucoup, dit-on, et que, petite, j’ai idolâtrée, ne faisait rien contre cela, ne disait rien. En 1930, elle jouait son rôle de femme. Elle acceptait les faits.
Hubert mourut à 63 ans, alcoolique. Cela se passa rapidement. Il fut d’abord paralysé des jambes, puis de tout son corps. Mon père avait treize ans.
Pendant très longtemps, les frères et les sœurs Delaporte n’on pas parlé de leur jeunesse… de leur père. Même après la mort d’Hubert, la peur, la terreur, était toujours bien présente dans leur mémoire. Puis, un jour, ma tante a écrit des livres évoquant ce qui s’était passé. Ce qui leur était arrivé. Le fil du temps a aussi aidé.
Je n’ai jamais connu personnellement mon grand-père ; mais j’ai connu, et je ressens encore, l’impact de la terreur qu’il a fait régner sur notre famille. La violence est un fantôme. Même si elle n’existe plus physiquement, elle pèse toujours. Elle vous laisse étourdi. Elle laisse ses empreintes sur ceux qu’elle hante.
À part sa tendance à se plaindre (pour des histoires d’argent… ou surtout de manque d’argent) mon père n’a rien du caractère d’Hubert. Il est tout tendresse et gentillesse. Je pense cependant que son enfance a occulté sa brillance. Mon père se réfugie dans les jeux de son ordinateur et ses BD. Mais ma tante Florence écrit. Ma tante Caroline chante dans les chœurs de Radio France. Patrick, l’ainé, celui qui était le plus aimé par son père, recueille toutes les histoires de famille et est obsédé par notre arbre généalogique. C’est grâce à lui, d’ailleurs, que je sais qu’autrefois nous possédions un château. Nous possédions un château. Que reste-t-il aujourd’hui ?
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